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Varia

Les chercheurs, la recherche, face à la formation permanente. De l'utopie à la norme

Suffit-il d’être savant pour pratiquer la recherche ? La formation à la recherche par la recherche permet-elle à tous les chercheurs de s’intégrer dans la dynamique de la communauté scientifique ? À quels critères les écoles thématiques doivent-elles répondre pour faciliter de telles intégrations ?
Researchers and research under the scope of continuing education : from utopia to standard
Noël Barbichon
p. 52-61

Abstracts

The thematic schools held since 1973 under the auspices of the ”Formation Permanente” (continuing education programme) have proven their worth as an appropriate environment for acquiring the skills required for doing research. The price of their success (over a hundred workshops per year) has been a steady normalisation of the procedures for their organisation and of their accreditation criteria. This article examines the premises underpinning these criteria, which are based on the specific nature of the competencies, knowledge and know-how to be acquired. The new procedures clearly evidence their adherence to these premises.

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Full text

1La formation permanente du CNRS a plus de quarante ans d’existence. Cet anniversaire donne l’occasion d’engager une réflexion sur le caractère spécifique de la politique de formation dans un organisme de recherche, en centrant cette réflexion plus particulièrement sur la formation des chercheurs.

2L’auteur de cet article, Noël Barbichon, ingénieur de recherche honoraire au CNRS, a été dès 1969, l’instigateur auprès de la direction du CNRS de la création du service « formation ». Il a eu, entre autre, pour charge d’assurer la mise en œuvre et le suivi du déroulement des différentes écoles thématiques organisées sous l’égide de la formation permanente.

3Il ne s’agit pas ici de retracer l’histoire de la création de ce service, ni de son évolution durant ces quarante années. Le n° 11, pages 78 à 85, de La revue pour l’histoire du CNRS a relaté un de ces aspects de la formation et, par ailleurs, les archives du CNRS à Gif-sur-Yvette, ainsi que les archives personnelles de Noël Barbichon permettront, le moment venu, de prendre du recul par rapport aux aspects passionnels de tous les acteurs qui ont participé à cette aventure.

4Il s’agit plutôt dans cet article de s’interroger sur la raison d’être et les fondements d’une politique de formation au CNRS et de déterminer si celle-ci, en 2016, repose sur les mêmes principes que ceux invoqués lors de la création du service en 1972.

Introduction

  • 1 Il faut citer d’une part l’initiative de Clément Duval qui, dès 1945, a créé l’EPTR (enseignement p (...)

5C’est en 1972 que la formation permanente a été instituée au sein du CNRS alors dirigé par Hubert Curien. Si antérieurement à cette décision il y eût plusieurs initiatives dont l’objet était de répondre ponctuellement à des besoins précis de formation1, il n’existait pas au CNRS de service chargé d’organiser la formation à l’intention du personnel, à l’image de ce qui prévalait dans de nombreuses entreprises (IBM, EDF, Charbonnages de France, Banque de France, Ministère des Finances, Ciments Lafarge, industrie métallurgique, etc.).

6L’existence d’un tel service dans un organisme de recherche était alors jugé inadéquate en raison de la spécificité du travail en laboratoire : tout en reconnaissant la nécessité d’acquérir une maitrise dans l’exercice de l’activité de recherche, la solution préconisée était, pour les chercheurs, « la formation à la recherche par la recherche ».

7En ce qui concerne le personnel administratif, la préparation aux épreuves des concours était laissée à l’initiative des candidats ; quant aux personnels techniques, il était attendu d’eux une capacité innée à résoudre les problèmes techniques et à affronter l’évolution des technologies. Or, compte tenu de l’astreinte à l’obligation de résultat, le corps technique ne pouvait se permettre de faire l’impasse sur les savoir-faire et les connaissances spécifiques qu’exigeait la réalisation d’un objet technique. C’est la raison pour laquelle le besoin d’acquérir des compétences complémentaires n’a été originellement ressenti que par le corps technique. Et c’est l’auteur de ces lignes, lui-même ancien technicien, puis ingénieur de recherche, sensibilisé à cette question de la formation qui, le 2 septembre 1968, est intervenu avec le soutien syndical auprès de la direction du CNRS pour promouvoir la mise en place d’un dispositif de formation.

  • 2 En 1972, l’effectif des auditeurs assidus aux enseignements organisés à l’université Paris XI à Ors (...)

8Cela s’est concrétisé par la création du premier poste attribué à la formation qui m’a permis de développer, à l’université d’Orsay, le centre de formation que j’avais antérieurement créé (en 1966) à l’intention du personnel du campus. Il était attendu de cette innovation qu’elle mette en évidence les besoins de formation des personnels de recherche et permette de tester les modalités pour y répondre. Néanmoins, si cette expérimentation2 révélait la disponibilité des chercheurs pour s’investir dans des formations complémentaires, il a fallu attendre 1973 pour qu’au sein du service formation, créé depuis un an au CNRS, une réflexion s’engage sur la spécificité des besoins des chercheurs dans des domaines strictement scientifiques. C’est au cours de cette réflexion poursuivie au sein d’un comité créé à l’initiative de Pierre Creyssel (directeur administratif et financier du CNRS), que les propositions de deux chercheurs (Henri Audier et Henri Alloul) d’organiser une école d’été en physique du solide ont été retenues. Cette école, destinée aux chercheurs conduisant des recherches dans ce domaine, avait pour but de faire le point sur le plan scientifique et de se repositionner par rapport aux recherches engagées par ailleurs. Ultérieurement, des écoles poursuivant des buts analogues ont été organisées dans toutes les disciplines. Si leur nombre était encore modeste au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, de l’ordre de sept à dix par an, on peut constater qu’une certaine normalisation s’est bel et bien établie, car plus d’une centaine d’écoles thématiques ont été inscrites au programme de 2016. Cette progression sur le nombre d’écoles a été accompagnée d’une évolution sur les procédures d’instruction des projets en vue de leur agrément. Ces importants changements dans le mode de pilotage et de suivi des actions de formation destinées aux chercheurs nous donnent l’occasion d’engager une réflexion sur leur spécificité. En effet, malgré cette normalisation, il demeure une certaine interrogation à propos de ce paradoxe qui consiste à proposer de former les chercheurs alors qu’ils ont la charge d’explorer la frontière entre ce qui est connu et ce qu’on ne connaît pas encore. Ils sont censés connaître l’amont du connu et il est évident que ce que personne ne connaît ne peut faire l’objet d’un enseignement. En conséquence, le service de formation ne devrait-il s’adresser qu’aux chercheurs souhaitant (ou contraints) de changer de domaine ou de discipline ? Face à ce paradoxe, notre propos aura pour objet d’examiner le sens que l’on peut donner au concept même de formation lorsqu’il s’agit de l’appliquer aux chercheurs. Notre intention, en célébrant le quarante-quatrième anniversaire de la formation permanente, est de lancer une alerte. Il y a autant de risques d’échapper à un progrès :

  • soit en jugeant utopique les moyens proposés pour l’obtention de ce progrès ;

  • soit au contraire, en s’inscrivant sans prise de recul dans des dispositifs dont la normalisation ne permettrait pas de répondre de façon pertinente à la spécificité des problèmes plus ou moins bien identifiés.

Examen du concept de formation et de son application à l’art de pratiquer la recherche

9Quel est le sens de former ? Le dictionnaire Petit Robert réserve une page et demie aux définitions des mots « former » et « formation ». On peut en retenir deux acceptions qui nous intéressent ici :

  • Former : développer une aptitude, une qualité.

10Exercer ou façonner l’esprit, le caractère de quelqu’un.

  • Se former : s’instruire, se cultiver, apprendre un métier.

11Retenons provisoirement « apprendre un métier ».

L’activité de recherche s’inscrit-elle dans un métier ?

12Les définitions de métier du Petit Robert sont nombreuses, compte tenu des glissements sémantiques. Examinons les définitions suivantes du terme « métier » :

  • Avoir du métier : habileté technique (manuelle ou intellectuelle) que confère l’expérience d’un métier.

  • Faire son métier : exercer le métier comme il faut, faire ce qu’on doit faire.

Deux questions émergent de ces deux définitions

  • L’expérience du métier de chercheur est-elle suffisante à l’acquisition de l’habileté technique ? (Ainsi se justifierait le principe de formation à la recherche par la recherche).

  • Si l’on considère la notion de « Faire son métier », c’est-à-dire de faire son métier comme il faut, cela est-il explicité dans les différents lieux d’apprentissage de la recherche ? (Laboratoires d’accueil des doctorants, écoles doctorales). Et cela l’est-il en termes de connaissances à maîtriser ou de compétences ?

  • 3 Nicole Le Douarin, dans son ouvrage Itinéraire d’une biologiste, Dans le secret des êtres vivants, (...)

13Il est clair que, les connaissances et le savoir-faire à maîtriser dans une activité de recherche sont propres à une discipline et même à un domaine de recherche3. Existerait-il dès lors des caractéristiques communes au savoir-chercher (en fait une compétence de chercheur) quelle que soit la discipline ou le domaine concerné ? De nombreux chercheurs (dont des prix Nobel) affirment et identifient ces caractéristiques que nous avons eu l’occasion de recenser dans divers ouvrages. Nous présentons ici quelques-unes de ces compétences extraites de ce recensement :

14« Curiosité ; sens du sujet ; modéliser ; construire la réponse à la question qu’on se pose ; solide culture ; détermination des ordres de grandeur ; décanter l’information ; dégager une caractéristique générale ; ne pas rejeter l’inattendu ; culture historique et épistémologique ; têtu ; refus de tout dogmatisme ; remise en cause de son savoir ; capacité de reconnaître ses erreurs ; capacité à s’intégrer dans une équipe ; qualité de synthèse ; persévérance ; capacité à relever un défi ; savoir s’émanciper de son patron et faire son chemin ; goût du risque ; rigueur expérimentale ; capacité à échanger »…

15Nous constatons qu’il s’agit là d’une capacité caractérisée par un « comment être » associée à un « comment faire comme il faut ». Un tel savoir-faire constituerait un « savoir-chercher ».

Les déficiences du savoir-faire et comment les combler ?

16Est-ce à la formation permanente que reviendrait le rôle de remplir cette fonction correctrice dans le cas où l’on constaterait certaines déficiences propres à ces différents savoirs ? Dans l’affirmative, sous quelle forme devraient se présenter de telles actions de formation ?

17En fait, au cours des vingt années où nous avons eu à piloter les actions de formation destinées aux chercheurs, il est indéniable que certaines d’entre elles ont eu secondairement pour effet une meilleure maîtrise du savoir-être alors que les objectifs essentiels de l’action étaient l’acquisition de capacités de « faire ». Nous reviendrons sur ce que l’on peut entendre par la capacité de « faire » lorsqu’il s’agit de l’activité de recherche. Auparavant, nous avons à examiner comment peuvent se produire de tels effets d’acquis secondaires :

18Considérons le cas de certaines écoles thématiques qui avaient pour objectif général de faciliter l’adaptation de chercheurs à des changements d’orientation de la recherche propres à un domaine. Bien entendu, le contenu du programme était de nature scientifique. Mais le fait de rassembler un groupe de chercheurs dans des conditions d’excellence (si on adopte ce qualificatif actuellement en vogue) pour aborder de nouvelles thématiques, générait nécessairement des remises en cause tant individuelles que collectives.

19De même, alors que certaines actions de formation n’avaient pour seul objectif que l’acquisition de savoir-faire (stage de traitement de données, stages de traitement de l’information documentaire, école de formation à l’organisation de colloques, de séminaires ou d’écoles thématiques), en fait, ces actions de formation généraient aussi des effets sur le savoir-être. Ainsi, au cours d’un stage de formation à la documentation, l’étude des moyens d’accès aux sources a mis en évidence des déficiences dans les relations entre des laboratoires concernés par la même thématique.

Le savoir-être et ses remises en cause

20À travers ces exemples, nous pouvons distinguer trois aspects de la remise en cause :

  • la remise en cause essentielle générée en permanence au sein de la communauté scientifique au cours de l’établissement d’un consensus ;

  • la remise en cause des fondements d’une discipline (par exemple, au cours des années 1970/1980 : crise de la discipline « géographie », émergence de la biologie théorique, intégration du modèle chimique des synapses par les spécialistes du système nerveux central). Ces crises déstabilisent parfois certains chercheurs qui ne sont pas en mesure de prendre un recul critique par rapport à la situation. Certaines écoles thématiques ont eu pour objectif de donner la capacité à des collectifs de chercheurs de surmonter la crise par une ouverture sur des champs nouveaux ;

  • la remise en cause individuelle de chercheurs, soit en raison d’une déstabilisation analogue à celle précédemment décrite, soit du fait d’une déception due à une absence de reconnaissance au sein de la communauté scientifique, soit parce qu’ils prennent conscience de s’être engagés progressivement dans la recherche sans avoir réellement opté pour cette profession.

À ces trois aspects de remise en cause correspondent trois objectifs susceptibles d’être assignés à la formation

21Pour le premier cas (remise en cause essentielle), la formation peut – parmi d’autres moyens – faciliter et accélérer la mise à jour des connaissances propres à un domaine et qui sont reconnues comme nécessaires à une insertion à un niveau requis par la compétition internationale : cela a été le cas de l’école de « Dynamique réactionnelle des états excités » et des premières écoles de catalyse.

22Pour le deuxième cas, la formation aura pour objet de rectifier les dérives d’ordre conceptuel dans un domaine de recherche, éventuellement complété par une mise à jour du vocabulaire : cela a été le cas des écoles de chimie de coordination, d’électrochimie, de photosynthèse.

23Pour le troisième cas, les actions de formation ayant pour objet le « savoir-être » peuvent contribuer à atténuer les effets déstabilisateurs. Il s’agit des stages de formation à la communication, au développement personnel, à la documentation, au traitement des données. Mais si ces stages peuvent favoriser un ressourcement personnel, ils sont insuffisants pour faciliter la réorientation professionnelle sur le plan scientifique. Notons que certaines actions de formation ont pu jouer ce rôle de réorientation, telles que la première école d’été organisée par la formation permanente sur le thème des méthodes expérimentales en physique du solide, puis ultérieurement l’école de biochimie du système nerveux. Cette école avait pour but de permettre à des chercheurs de décider en connaissance de cause d’investir dans ce domaine. À cette fin, le programme portait sur les connaissances de base à maîtriser, sur les enjeux liés à ce thème et sur l’état de la question.

24Au terme de cette exploration des contributions de la formation permanente à l’acquisition des savoir-faire et des savoir-être propres à l’exercice de l’activité de recherche, (y compris la régulation des effets perturbateurs dus aux remises en cause d’itinéraires dans la recherche), il s’avère nécessaire de préciser ce qui caractérise cette activité : en quoi consistent le « faire » et le « savoir-faire » propres à l’activité de recherche et quelle finalité leur serait assignée ?

En quoi consiste l’activité de recherche et quelle est sa finalité : examen indispensable à l’étude de l’éventuelle contribution de la formation à l’acquisition de la capacité de faire de la « bonne » recherche

25Il est coutumier d’affirmer que la mission d’organismes de recherche, tels que le CNRS, a pour objet la recherche fondamentale. Ce type de recherche que l’on distingue de la recherche appliquée, est souvent qualifié de recherche non finalisée. Nous préférons conserver le terme de recherche fondamentale, car nous estimons que toute activité a nécessairement une finalité. À l’expression « non finalisée », on devrait substituer l’expression « absence de perspective d’applications » ou « à finalité non imposée ».

26On peut néanmoins remarquer qu’une perspective d’applications ne fait pas perdre le caractère fondamental des recherches alors engagées. C’est le cas par exemple en cancérologie, ou en physique du solide (cas de la société Bell Telephone investissant dans le domaine des semi-conducteurs en vue de concevoir ce qui est devenu le transistor). La perspective de réaliser l’objet visé ou de guérir les malades atteints du cancer détermine le champ de recherche de nature fondamentale à explorer.

27Quel que soit le cas envisagé, il reste à identifier la finalité et les objectifs de la recherche fondamentale ainsi que ceux de ses acteurs, c’est-à-dire des chercheurs. L’objectif est d’explorer, en vue de son extension, le champ de la connaissance, sur la base d’un questionnement constamment renouvelé. La finalité est de comprendre et d’expliquer. La motivation d’un chercheur à s’engager dans la recherche peut aussi bien être le plaisir lié strictement à l’érudition que celui de bien comprendre et expliquer un phénomène ou de contribuer à résoudre un problème de société ; mais quelle que soit sa motivation et son propre questionnement, le chercheur devra se positionner en permanence au sein de la communauté scientifique. Cette double exigence, à savoir celle portée par son désir de comprendre et celle de s’insérer dans une réflexion collective, déterminera à la fois ses choix de champ à explorer et ce qui caractérisera son activité.

28En fonction de ses choix, il aura à se référer aux connaissances antérieurement validées par la communauté scientifique et aux travaux de recherche engagés jusqu’alors. Il entreprendra ensuite la collecte de données qu’il estimera susceptibles d’apporter des réponses à son questionnement. Puis il devra identifier le niveau de cohérence des questions qu’il aurait à traiter par rapport à l’état de la question tel que la communauté scientifique l’a jusqu’alors esquissé et à laquelle il aura à soumettre les résultats de ses travaux à fin de validation. C’est grâce à ce réseau permettant d’articuler les travaux de chacun des chercheurs que la recherche fondamentale concourt au développement de la connaissance. Progressivement, ce savoir en cours de constitution s’intégrera - quitte à affronter des contestations – dans le savoir préalablement constitué. Pour se mouvoir dans ce réseau, un chercheur ou un collectif de chercheurs concernés par un même domaine devra, non seulement se situer par rapport au triple champ de la connaissance (savoir constitué, savoir en cours de constitution, savoir inexploré), mais aussi disposer de compétences spécifiques. C’est ce que nous avons précédemment dénommé « la capacité de faire » ou « la capacité d’exercer son métier comme il faut ».

Quelles sont les compétences et connaissances dont un chercheur devrait disposer pour exercer son activité ainsi définie ?

29Ci-dessous une liste non exhaustive des qualités indispensables à l’activité de recherche :

  • un recul critique sur ses motivations à un engagement dans le domaine de recherche qu’il envisage d’explorer ;

  • une information sur les recherches engagées par ailleurs dans ce domaine ;

  • une information sur l’état du savoir jusqu’alors constitué et duquel émerge le nouveau questionnement ;

  • une maîtrise des concepts de base auxquels il aura à se référer pour exploiter les données ;

  • des connaissances spécifiques au traitement des données ;

  • une capacité de raisonnement, en général acquise au cours de sa formation initiale ;

  • un recul critique sur les modes de raisonnement et sur le discours démonstratif ;

  • une maîtrise des savoir-faire et savoir-être que requièrent le travail en équipe, les coopérations, la communication des résultats des travaux.

Quelles difficultés le chercheur peut-il éprouver dans l’exercice de son activité ? Comment la formation se propose-t-elle de les surmonter ?

30Le chercheur, ou un collectif de chercheurs, éprouve parfois des difficultés à se positionner par rapport au triple champ de la connaissance mentionné précédemment, faute de disposer des clés d’accès aux informations nécessaires à son exploration. Cette difficulté se révèle le plus souvent lors du choix d’un sujet de recherche ou d’un changement de sujet ou encore dans les situations de crise au sein d’une discipline.

31Le hasard de rencontres, ou les apports d’un environnement scientifique partageant les mêmes passions permettent parfois aux chercheurs de surmonter ces difficultés, sous réserve d’une acceptation des remises en cause que génèrent souvent de telles rencontres. C’est pour suppléer ce hasard qu’en 1973 il est apparu nécessaire d’innover en organisant la première école d’été sur Les méthodes expérimentales en physique du solide en vue de faciliter l’accès aux informations pour permettre aux chercheurs de gérer au mieux et en toute autonomie leur itinéraire dans la recherche. Cette défaillance de gestion en autonomie était sans doute due au rapide développement des effectifs de chercheurs engagés depuis les années cinquante, ce qui, en conséquence, n’avait probablement pas permis de disposer d’un encadrement rapproché des jeunes chercheurs.

Dans une telle école, quels sont les apports qui permettront aux chercheurs de tracer leur propre itinéraire ?

32Dans ce type d’école, les apports sont tout à la fois constitués d’information et de formation. En ce qui concerne l’information, sa mise à disposition a un effet formateur puisqu’elle donne la capacité à un chercheur de se positionner par rapport au domaine de recherche qu’il souhaite explorer. Cette collecte d’informations pourrait aussi s’opérer par la fréquentation des colloques et congrès, mais son effet formateur serait bien moindre faute d’une focalisation sur l’objectif visé : la facilitation du positionnement du chercheur au sein du triple espace de la connaissance propre à un domaine. Cette connaissance peut ainsi être envisagée sous ces trois aspects : le savoir constitué, validé ou faisant l’objet d’un consensus ; le savoir en cours de constitution et le champ du savoir inexploré. L’effet formateur sera optimalisé dans la mesure où il sera tenu compte du positionnement initial du chercheur dans deux autres espaces : son espace privé et son espace institutionnel.

  • L’espace privé est entendu comme motivation, passion, vocation, adaptabilité à son environnement, conscience de ses forces et faiblesses.

  • L’espace institutionnel correspond au positionnement dans le laboratoire (ancienneté, équipe, hiérarchie, accès aux moyens) ; au positionnement dans l’organisme (carrière, évaluation, rattachement à une discipline), enfin au positionnement dans le domaine de recherche (cherche sa voie, ne s’écarte pas de la voie choisie, en impasse, en cours de réorientation).

33Le contenu des enseignements dispensés lors dune école sera déterminé à partir de l’examen du profil (positionnement privé et institutionnel) des chercheurs destinataires de cette formation, et de l’identification des manques à combler dans le triple espace de la connaissance. C’est sur cette logique que reposera la composition du programme apparemment disparate de l’école, logique bien différente de celle qui caractérise la composition d’un programme d’une école destinée à l’acquisition d’un savoir structuré.

34Dans le cadre de la mission qui nous avait été confiée au sein du service de la formation permanente du CNRS, nous avons eu à maintenir le cap pour éviter les dérives lors de la programmation des exposés de chacune de ces écoles. Nous avions à veiller à ce que les comités scientifiques identifient les manques à combler de telle façon que les chercheurs participant à une école soient en mesure de s’investir souverainement dans le domaine concerné.

Politique de formation et gestion des connaissances

  • 4 Des besoins spécifiques peuvent néanmoins se révéler dans l’espace privé du chercheur, par exemple (...)
  • 5 La création de l’école de physique théorique des Houches et de l’école d’été de dynamique réactionn (...)

35La démarche présidant à la conception du programme d’une école se référait inconsciemment aux principes de la gestion des connaissances qui faisait, à cette époque, l’objet d’expériences en management dans des entreprises. Mais la référence à la gestion des connaissances ne se confine pas à la programmation d’une école d’été, elle s’étend aussi à la définition d’une politique de formation dans une entreprise comme dans un organisme de recherche. Dans une entreprise, les analyses conduites conjointement par le service des ressources humaines et les services attachés à la production permettent, en principe, de définir les besoins en compétences par types de produits et d’identifier les déficiences à combler. Dans un organisme de recherche, l’identification des compétences, des savoir-faire et des savoir-être nécessaires à l’exploration d’un domaine de recherche ne peut s’établir qu’au sein même du système de recherche, c’est-à-dire au sein du triple espace de la connaissance précédemment proposé4. C’est lors de ces explorations que peuvent apparaître les controverses, les impasses, les rigidités, les nouvelles perspectives d’avancées, les polémiques, les retards par rapport à la compétition internationale, le constat de domaine inexploré5.

36La temporisation des conflits, la réactivation des motivations et la réflexion prospective s’accomplissent en général au sein des colloques et congrès. La nouvelle démarche introduite en 1973 sous la forme d’une école d’été (dénommée ultérieurement école thématique) s’est révélée être un moyen optimisé pour résoudre des problèmes spécifiques rencontrés au sein du système de recherche. L’existence de ce nouvel instrument d’activation de la recherche, disposant d’une nouvelle source de financement (imputation au budget de la formation permanente) a engendré un engouement à y faire appel pour résoudre des « goulots d’étranglement » constatés dans certaines voies de recherche. Les projets émanaient soit de leaders reconnus au sein d’un domaine, soit d’une direction scientifique du CNRS, soit d’un laboratoire.

37Le service formation du CNRS n’avait pas pour mission de procéder lui-même à ces constats. En revanche, il lui revenait d’accueillir et d’instruire les projets d’école qui lui étaient soumis et de s’assurer des bénéfices que les chercheurs pouvaient en attendre. Il revenait au service formation d’accompagner la mise en œuvre de ces écoles de façon qu’elles atteignent l’objectif qu’elles affichaient, non seulement en termes de connaissances à acquérir, mais aussi et surtout en termes de potentialités d’investissement de recherche dans le domaine considéré. Nous avons eu à jouer le rôle de copilote pour toutes ces écoles, qu’elles soient d’appartenance disciplinaire ou à caractère interdisciplinaire. L’article paru dans La revue pour l’histoire du CNRS et cité plus haut dans cet article, présente les particularités de la plupart d’entre elles. Nous avons toujours rencontré auprès des chercheurs - qui étaient à l’origine d’un projet d’école - un accueil favorable de nos suggestions et conseils et nous avions l’occasion de les expérimenter lors du déroulement de l’école. En proposant une distanciation par rapport au mode d’accès au savoir propre à la formation initiale, nous nous sommes efforcés d’intégrer un mode d’optimisation dans la gestion de la connaissance conforme aux principes qui régissent le fonctionnement du système de recherche.

Conclusion

38Dans les années soixante-dix, le moyen recommandé pour développer la compétence en matière de recherche était la formation à la recherche par la recherche. Les chercheurs estimaient que la formation permanente, encore embryonnaire à cette époque, ne pouvait les concerner. Cette éventualité était jugée utopique sinon incongrue. Or, entre 1950 et 1970 l’accroissement rapide des effectifs dans certains laboratoires ne permettait plus aux jeunes chercheurs de bénéficier d’un soutien personnalisé de la part de leurs aînés. La première école thématique, en 1973, a eu pour objectif de compenser cette déficience. Si les participants à cette école ont été très satisfaits de cette innovation, certains ont exprimé leur étonnement qu’elle soit financée par la formation permanente. Cette anecdote met en évidence un paradoxe : en accroissant les capacités des chercheurs à mieux positionner leurs travaux de recherche par rapport à l’état de la question, les écoles thématiques ont effectivement un effet formateur au même titre que les autres réunions scientifiques (colloques, congrès, séminaires, etc.) Assimilées aux pratiques professionnelles de la recherche, l’inscription des écoles thématiques au budget de la formation permanente ne serait donc pas justifiée, d’autant plus qu’elles ne dispensent pas – sauf exceptionnellement – un enseignement selon le modèle de la formation initiale.

39La légitimité du financement des écoles thématiques au titre de la formation permanente repose uniquement sur le fait qu’elles sont programmées en fonction d’un besoin spécifique de compétences à acquérir. Quel besoin ? Le besoin pour un chercheur de pouvoir tracer de façon autonome son propre itinéraire de recherche en connaissance de cause. À cette fin, les écoles thématiques permettent aux chercheurs de repérer, sur la carte du domaine de recherche concerné, les lieux critiques qu’ils auront à explorer. En promouvant de telles écoles, la formation permanente a donc donné aux chercheurs, depuis 1973, les moyens de se piloter dans l’univers complexe de la communauté scientifique.

40Par ailleurs, cette exigence de tracer eux-mêmes leur propre itinéraire n’apparaît pas comme une évidence aux jeunes chercheurs encore imprégnés, dans leur relation à la connaissance, par le modèle qu’ils ont connu au cours de leur formation initiale. C’est pour cette raison que nous avons innové en 1998 en organisant, sur le campus CNRS de Gif-sur-Yvette, avec le soutien de Pierre Potier et l’active contribution de la délégation régionale en la personne de Raymond Duval, les premières journées d’études destinées aux jeunes chercheurs, sur le thème « Pour un choix d’itinéraire dans la recherche ». Ces journées avaient pour objet de décrire la carte où figure le système de recherche et d’enseigner le mode d’usage d’une boussole pour s’y mouvoir. L’évolution actuelle et à venir des conditions d’exercice de l’activité de recherche justifierait le renouvellement régulier de cette initiative.

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Notes

1 Il faut citer d’une part l’initiative de Clément Duval qui, dès 1945, a créé l’EPTR (enseignement préparatoire aux techniques de la recherche) et, d’autre part, le 15 juillet 1951 la 1ère session de l’école de physique théorique des Houches.

2 En 1972, l’effectif des auditeurs assidus aux enseignements organisés à l’université Paris XI à Orsay dans ce nouveau centre de formation s’élevait à 1200 personnes (sur 1400 inscrits) répartis dans les divers cours par groupe de quinze, deux fois deux heures par semaine.

3 Nicole Le Douarin, dans son ouvrage Itinéraire d’une biologiste, Dans le secret des êtres vivants, met en évidence ces exigences de maitrise de savoir-faire et de connaissances spécifiques à une méthode d’investigation de l’embryon.

4 Des besoins spécifiques peuvent néanmoins se révéler dans l’espace privé du chercheur, par exemple dans la perspective d’une réorientation, ou de l’utilisation d’un nouvel instrument, ou pour un réajustement des connaissances de base.

5 La création de l’école de physique théorique des Houches et de l’école d’été de dynamique réactionnelle des états excités s’est imposée en raison de l’absence d’investissement de la recherche dans ces domaines.

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References

Bibliographical reference

Noël Barbichon, “Les chercheurs, la recherche, face à la formation permanente. De l'utopie à la norme”Histoire de la recherche contemporaine, Tome V - N°1 | 2016, 52-61.

Electronic reference

Noël Barbichon, “Les chercheurs, la recherche, face à la formation permanente. De l'utopie à la norme”Histoire de la recherche contemporaine [Online], Tome V - N°1 | 2016, Online since 15 June 2018, connection on 29 March 2024. URL: http://journals.openedition.org/hrc/1250; DOI: https://doi.org/10.4000/hrc.1250

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About the author

Noël Barbichon

Ingénieur de recherche honoraire CNRS, diplômé du CNAM dans diverses disciplines, spécialisé en instrumentation de détection de rayonnement de basse énergie, Noël Barbichon a créé, animé et développé un centre de formation permanente à la faculté des sciences de l’université Paris XI de 1966 à 1972. Protagoniste de la création de la formation permanente au CNRS, il a été chargé, à l’intention des chercheurs, de la mise en œuvre des écoles thématiques et des stages de formation méthodologiques. Il a contribué auprès de l’ABG à l’organisation des deux premières Doctoriales. Il a conçu et organisé en 1998 les Journées d’études pour jeunes chercheurs sur le thème « Pour un choix d’itinéraire dans la recherche ».

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